Fati Abdou est responsable d’un projet d’autonomisation financière des femmes, mené par CARE en Côte d’Ivoire depuis 2013, nommé POWER. Elle a profité de sa présence à Paris pour faire le point sur ce projet et ses conséquences sur la vie quotidienne des femmes ivoiriennes.
Quelle est la genèse des projets d’autonomisation financière des femmes en Côte d’Ivoire ?
Je travaille pour CARE depuis 2003. À la fin d’un projet de lutte contre le VIH, les femmes originaires du Niger qui en avaient bénéficié m’ont interrogée sur la suite : une dynamique avait été mise en place, il fallait poursuivre. Elles voulaient continuer à améliorer leurs conditions de vie. Ainsi, elles ont été les premières à me parler des associations villageoises d’épargne et de crédit (AVEC).
Ces groupements autogérés, dont le concept a été créé par CARE en 1991, pallient le manque d’accès aux structures bancaires pour les personnes les plus vulnérables. À cette époque, le principe n’existait pas en Côte d’Ivoire. C’était une bonne solution pour répondre aux difficultés quotidiennes rencontrées par les femmes, victimes de discriminations sociales et économiques.
Un premier groupe a été créé sur les fonds propres de CARE, puis un premier financement a été obtenu en 2008. Dès lors, je me suis passionnée pour le sujet. En 2013, un financement dédié a enfin été octroyé et le projet POWER a été lancé dans quatre pays africains – Burundi, Côte d’Ivoire, Ethiopie et Rwanda – pour une durée de quatre ans afin de soutenir l’autonomisation financière des femmes et à leur inclusion financière via des AVEC.
Quelles sont les actions menées dans le cadre de ce projet ?
Le développement du nombre d’AVEC est tel que l’on dénombre aujourd’hui 100 000 personnes membres d’une AVEC dans le pays : nous allons dépasser notre objectif initial de 125 000 avant la fin du projet, dans un an et demi ! Les membres des AVEC mettent en commun leurs épargnes et se font des prêts. Ils investissent cet argent pour créer ou développer des activités génératrices de revenus, pour réparer leur maison, pour envoyer leurs enfants à l'école ou acheter de la nourriture.
Le projet a également pour buts de former 40 000 personnes aux bases financières (gestion budgétaire, fonctionnement du crédit et de l’épargne) et de renforcer leurs capacités d’entreprenariat. Nous organisons des formations sur les techniques commerciales, les spécificités des marchés locaux : par exemple, en favorisant les contacts entre les femmes productrices d’une région du pays à celles, consommatrices, d’une autre région.
Et quels sont les impacts sociaux pour les femmes ?
Les impacts sont énormes, d’ailleurs 85% des bénéficiaires du projet sont des femmes. Par le biais de leur autonomisation financière, les femmes osent s’affirmer et faire valoir leurs compétences. Elles participent plus aux décisions au sein de leur foyer mais aussi des instances de gouvernance locale.
Mais c’est un processus qui prend du temps. Nous abordons les questions du genre à travers les AVEC et les groupes de parole de femmes : comment le genre influence-t-il le choix d’une activité professionnelle ? Comment changer le regard sur les femmes ?
Nous avons également mis en place des « comités genre » rassemblant membres d’AVEC, personnes extérieures (hommes et femmes) et parfois même le chef du village. Ils peuvent intervenir dans des situations conflictuelles à l’intérieur d’une famille et favorisent le dialogue entre maris et femmes, entre parents et enfants, sur des questions aussi taboues que la sexualité par exemple.
Le projet était basé sur le développement des AVEC : qu’en est-il aujourd’hui et quelles sont les prochaines étapes ?
Le développement économique commence avec l’AVEC mais l’AVEC reste au niveau local, communautaire. L’étape essentielle, qui permet l’inclusion financière, c’est ce qu’on appelle le « linkage » : le fait d’être en relation avec le système financier classique – banques, organismes de microcrédit, entreprises de téléphonie mobile –, qui assure la sécurité de l’argent épargné et l’obtention de crédits plus importants.
CARE joue un rôle de médiateur, de facilitateur entre les communautés, les femmes des AVEC et les établissements financiers afin de lutter contre les a priori, nombreux, qui existent entre eux. Les femmes sont très méfiantes vis-à-vis des banques qui ont du mal à les voir comme des clientes potentielles intéressantes, puisqu’elles n’ont même pas accès à la propriété foncière.
Fin avril, on comptait déjà 16 000 personnes en relation avec un établissement financier, un lien qui a été long et difficile à mettre en place. Désormais, nous allons sur le terrain, à la rencontre des femmes, avec des représentants des établissements financiers, ce qui s’avère très efficace. Il reste encore beaucoup à faire.