« Nous sommes très inquiets des conclusions de ce premier Sommet entre l’Europe et la Turquie. Les pays européens ne doivent pas se défausser de leurs responsabilités en termes d’aide et d’accueil des personnes qui fuient la guerre et les persécutions. L’inefficacité des pays européens ne fait qu’aggraver la crise humanitaire au Moyen-Orient et en Europe », alerte Violaine Gagnet, responsable des urgences de CARE France.
Le respect des droits humains : une obligation morale
Nous rappelons que les réfugiés qui arrivent en Europe fuient les violences et les persécutions qui menacent leur vie. Leur fuite vers l’Europe n’est pas un choix mais une question de survie. La plupart viennent de pays en crise comme la Syrie, l’Irak, l’Afghanistan ou la Libye.
L’Union Européenne qui se targue de défendre les droits humains sur la scène internationale ne doit pas se soustraire à ses responsabilités. C’est non seulement un devoir moral mais aussi une obligation au regard des conventions internationales de protéger ces personnes dont la vie est menacée.
Un accord aux bases légales floues
La Convention européenne des droits de l'homme interdit les expulsions collectives et indiscriminées d'étrangers. C’est pourtant l’un des principes prévus par l’Union Européenne et la Turquie.
Tous les migrants et réfugiés qui sont et arriveront clandestinement en Grèce seront renvoyés en Turquie. En contrepartie, les Européens accueilleront un nombre égal de réfugiés depuis la Turquie. A priori, les migrants économiques seront tous renvoyés dans leur pays d'origine par la Turquie.
L’Europe n’accueille qu’une infime partie de réfugiés
Les Etats européens doivent assumer un partage des responsabilités en matière d'aide et de protection. Or, si nous ne prenons que le cas de la crise syrienne - à l’origine de la plupart des déplacements vers l’Europe - 90% des réfugiés vivent actuellement dans les pays du Moyen-Orient. Des pays dont les ressources limitées sont aujourd’hui sous forte pression.
Les réfugiés syriens représentent aujourd’hui 20% de la population libanaise. La Turquie accueille déjà plus de 3 millions de réfugiés syriens. En comparaison, la France, pays à haut revenu, n’a accueilli que 300 réfugiés sur un engagement de 30 000.
La Turquie, comme les autres pays du Moyen-Orient, assument déjà leur part dans l'accueil des réfugiés. Nous demandons aux pays riches ou à revenus modérés, comme les Etats européens ou les Etats-Unis, d’accueillir 10% des réfugiés syriens, soit près de 450 000 personnes, d’ici la fin de l’année.
L’inaction de l’Europe contribue à aggraver la crise humanitaire
L’inefficacité actuelle des pays européens ne fait qu’aggraver la crise humanitaire au Moyen-Orient et en Europe. Cet hiver, nos équipes dans les Balkans décrivaient une situation humanitaire catastrophique et comparable à celle d'une zone de guerre. Nous ne pouvons pas laisser ce drame se dérouler aux portes de l’Europe.
Nous dénonçons la fermeture des frontières et la pratique de « tri » des nationalités.
Aujourd’hui seuls quelques Syriens et Irakiens sont autorisés à franchir les frontières. Les Afghans, qui partageaient ce privilège jusqu’à récemment, n’ont plus la possibilité de passer.
De ce fait, près de 25 000 personnes sont actuellement bloquées en Grèce. 400 ont été récemment bloquées entre la Macédoine et la Serbie. La Slovénie et la Croatie ont également annoncé de fortes restrictions à leurs frontières.
Ces mesures, destinées à décourager de nouveaux migrants de partir pour l’Europe, ne fait qu'accentuer le risque de crise humanitaire en Grèce.
Cela renforce également l’insécurité des réfugiés dont le seul recours est celui des réseaux illégaux de passeurs.
C’est également une violation flagrante du droit d’asile qui doit être accordé sur une base individuelle en prenant en compte les raisons légitimes de craindre pour sa vie dans son pays d’origine, quel qu’il soit.
L’Europe doit agir maintenant
Il faut donc une action immédiate et complète de l’Europe pour soutenir les victimes de multiples crises :
- une augmentation significative des places d’accueil en Europe,
- un soutien financier accru aux autres pays d’accueil
- et une forte implication diplomatique pour mettre fin aux conflits en Syrie, Irak et partout ailleurs.
En aucun cas, ces questions ne devraient pas faire l’objet de négociations et marchandages politiques. Or, cette crise humaine est devenue l’un des moyens pour négocier l’adhésion de la Turquie à l'Union européenne.
Que prévoit l’accord entre l’Europe et la Turquie ?
Lundi 7 mars, les pays européens et la Turquie ont posé les bases d'un nouvel accord censé endiguer l'afflux de réfugiés vers l'Europe. Tous les migrants et réfugiés qui sont et arriveront clandestinement en Grèce seront renvoyés en Turquie. Et ce, à condition que les Européens accueillent un nombre égal de réfugiés depuis la Turquie. C’est le principe baptisé « un Syrien pour un Syrien ».
A priori, les migrants économiques seront tous renvoyés dans leur pays d'origine par la Turquie. Les demandeurs d'asile qui souhaitent venir en Europe devront déposer leur requête depuis la Turquie. En échange, la Turquie réclame une aide de 6 milliards d’euros.
La Turquie espère aussi accélérer son intégration dans l'Union européenne et l’Union européenne a également promis d'accélérer la mise en place d'un régime sans visas pour les ressortissants turcs.
Beaucoup de détails restent encore à éclaircir et définir. Une prochaine rencontre aura lieu les 17 et 18 mars à Bruxelles.
Actualisation du 10 mars 2016
La Turquie a rappelé aujourd'hui que les réadmissions de réfugiés et migrants sur son sol ne seraient pas rétroactives, s’appliquant uniquement aux nouvelles arrivées en Grèce.
Les Pays-Bas ont également précisé que le principe « un Syrien pour un Syrien » ne serait que temporaire. Ce plan ayant pour objectif de stopper les traversées illégales et très dangereuses en mer Egée. Le ministre néerlandais de l’immigration a déclaré que l'Europe devrait ensuite discuter avec la Turquie « d’un schéma plus permanent de réinstallation, de partage du fardeau ».
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