"Ici, les femmes représentent 60 % de la population : si 60 % de la population n'a pas accès aux ressources, comment sortirons-nous de la pauvreté ?" s'interroge Simon Chol Mialith, coordinateur pour l'atténuation des conflits de CARE au Soudan du Sud.
Mon pays est une société très traditionnelle
Mon pays, le Soudan du Sud, est une société très traditionnelle. Pendant toutes les années de guerre civile qui ont mené à notre indépendance en 2011, notre culture était souvent tout ce que nous avions.
C'est cette culture qui définit les rôles des hommes et des femmes dans notre société. Depuis bien des générations, les femmes ont été considérées comme les gardiennes du foyer, chargées d'élever les enfants, de s'occuper de la maison, de nourrir la famille, d'aller chercher de l'eau et de ramasser du bois de chauffage. Elles ont également joué le rôle de pacificatrices, surtout en temps de guerre lorsque, trop souvent, celle-ci vient leur dérober leurs maris ou leurs enfants.
Ici, les femmes représentent 60 % de la population : si 60 % de la population n'ont pas accès aux ressources, comment sortirons-nous de la pauvreté ?
Ces rôles sont importants, mais ils ne donnent pas aux femmes ce que beaucoup d'hommes tiennent pour acquis : l'accès. L'accès aux ressources par exemple : la plupart des Sud-Soudanaises perçoivent leurs ressources d'autres personnes, mais n'en ont pas le contrôle. Tout l'argent qu'elles gagnent est remis à leurs maris.
Si 60 % de la population sont exclus des processus décisionnels, à quoi ressemblent ces décisions ?
Les femmes ont également très peu accès aux processus décisionnels qui affectent profondément leurs vies, notamment la décision d'avoir accès à l'éducation ou de se marier. Les mariages forcés sont monnaie courante ici. Une fille aura souvent à quitter l'école pour respecter la décision prise par sa famille de la marier. Si elle fait partie d'une communauté d'éleveurs, sa dot sera payée en bétail ; sinon le montant de la dot sera constitué d'argent et de biens.
Beaucoup de nos filles, bien trop, ne vont pas à l'école. En 2008, la dernière fois qu'une estimation a été réalisée, seules 16 % des femmes savaient lire et écrire dans notre pays. Parfois, la décision de ne pas envoyer une fille à l'école est une décision consciente de la part de la famille : une fille instruite suscite souvent de la méfiance, elle se comporte comme un homme ou génère une dot moins élevée. La plupart des filles n'ont même pas le choix : il n'y a tout simplement pas d'école pour elles, ou pas d'argent pour payer le salaire des professeurs.
Si 60 % de la population ne participent pas aux changements, de quels changements parlons-nous ?
Si 60 % de la population sont victimes de violence, à quel point souffre notre pays ?
Les violences faites aux femmes sont très répandues ici, en particulier les violences sexuelles. Il est avéré que la majorité des femmes et des filles connaîtront dans leur vie au moins une forme de violence basée sur le genre. C'est ancré dans la société, et cela s'est aggravé avec le conflit actuel. Très peu de femmes signalent ces violences aux autorités, souvent par peur ou par honte.
Le Soudan du Sud compte parmi les pires statistiques au monde en matière de santé maternelle. Même avant la crise, une mère sur sept mourrait de complications liées à la grossesse ou à l'accouchement, seules 4,8 % des femmes disposaient d'un suivi prénatal et 80 % des femmes accouchaient à domicile. Seulement 37 hôpitaux s'occupent de 11 millions de personnes.
Si 60 % de la population n'ont pas accès à des soins de santé de qualité, dans quel état de santé se trouve notre pays ?
Si les femmes portent la moitié du ciel sur leurs épaules...
Mao Zedong disait que les femmes portent la moitié du ciel sur leurs épaules. Je crains que le ciel ne s'effondre si les Sud-Soudanais ne règlent pas certaines de ces questions cruciales.