Mardi 12 janvier, le Conseil de sécurité de l'ONU s'est réuni pour évoquer le sort de Madaya, cette ville assiégée depuis six mois. 400 personnes se trouveraient actuellement dans une situation critique. Pour Violaine Gagnet, responsable des programmes d’urgences de l'ONG CARE, l'urgence est réelle.
En Syrie, la faim est utilisée comme une arme de guerre. La famine est organisée de manière stratégique. Madaya est une illustration de l’enfer que vivent les populations civiles en Syrie.
Aujourd’hui, plus de 4,5 millions de personnes vivent dans des zones assiégées ou difficiles d’accès.
La ville de Moadamiyeh, par exemple, est régulièrement assiégée depuis quatre ans. En 2012, aucun produit n’a pu entrer dans la ville durant neuf mois. Ce fut la période de siège la plus longue. 5 000 personnes vivaient alors à Moadamiyeh.
« Les gens ont commencé à sauter les repas »
Un travailleur humanitaire syrien nous a décrit l’horreur de cette période :
« Quand nous avons entendu parler de ce qui se passait à Madaya, j’ai revécu le siège de 2012.
Au début, certains produits sont devenus rares. Il n’y avait plus de sucre, d’huile ou de pain. Les prix des produits alimentaires ont augmenté de façon astronomique. Ils étaient jusqu’à 100 fois plus élevés que ceux pratiqués à Damas, qui se trouve à seulement quelques kilomètres.
Les gens ont commencé à sauter des repas. Nous avons entamé les conserves que les Syriens gardent traditionnellement pour l’hiver. Ça nous a permis de tenir quelques semaines. Nous avons aussi planté des légumes d’hiver, tels que des épinards, choux, radis, betteraves, dans les cours et les jardins. Les terres agricoles inutilisées ont été cultivées à nouveau. »
« C'était horrible, mais nous sommes restés solidaires »
« Puis il y a eu une tempête de neige. Les températures négatives ont détruit toutes les récoltes. Nous n’avions absolument plus rien à manger.
Un soir, je suis sorti chercher un peu de nourriture pour ma famille. À 3 heures du matin, j’ai trouvé quelques choux qui avaient résisté au froid. Ils étaient sur la ligne de front. J’aurais pu être tué par un sniper en allant les récupérer mais je n’avais pas d’autre choix… Plus tard, on a commencé à manger des racines. On les faisait bouillir.
C’était horrible. Malgré tout, nous sommes restés solidaires les uns des autres. On partageait le peu qu’on avait. J’ai une grande famille. Nous vivons à 15 dans une même maison. Nous avions à peine de quoi faire un repas par jour.
Une fois, je suis rentré tard. J’avais tellement faim. Ma famille m’avait gardé de quoi manger, mais j’ai vu notre voisine à la porte. Une femme de 60 ans. Elle pleurait parce qu’elle avait faim. Je lui donné mon repas. Je lui ai dit que j’avais déjà mangé. »
Durant ces neuf mois, 14 personnes sont mortes de faim. Plusieurs douzaines de personnes ont souffert de malnutrition sévère.
Ces pratiques bafouent la dignité humaine
CARE et de nombreuses autres organisations humanitaires dénoncent cette forme de punition collective contre des civils.
C’est non seulement une violation flagrante des lois internationales et des récentes résolutions de l’ONU, mais ces pratiques bafouent la dignité humaine et les droits des Syriens. Les vies des populations civiles ne doivent pas être prises en otage ou utilisées comme un moyen de pression par les parties au conflit.
À Moadamiyeh, la trêve conclue en décembre 2013 n’a duré que quelques semaines. 45 000 personnes étaient alors revenues dans la ville, espérant que le siège prenne fin définitivement. Ce ne fut pas le cas.
Il est vital que tous les Syriens puissent bénéficier d’une aide humanitaire
Aujourd’hui, l’accès à la ville est de nouveau bloqué depuis une vingtaine de jours. Il n’y a plus de pain. Les prix sont dix fois plus élevés qu’à Damas. Les services publics, dont l’accès à l’eau et l’électricité, ne fonctionnent plus. La quantité d’eau nécessaire pour une famille de six personnes coûte 40 dollars par mois. Un coût exorbitant dans une région où 95% des gens n’ont plus de sources de revenu et où le salaire moyen est de 50 dollars.
Les organisations humanitaires appellent les parties au conflit à mettre un terme aux sièges de zones civiles. Il est vital que toutes les populations syriennes puissent bénéficier d’une aide humanitaire.
En 2015, seuls 29% des requêtes de l’ONU pour accéder aux populations au-delà des lignes de conflit ont été accordées par les autorités syriennes. C’est deux fois moins qu’en 2013. Or, si nous n’agissons pas maintenant, le scénario dramatique de Madaya se répétera encore et encore.
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