Au Yémen, le conflit gagne en intensité. Le 30 mars dernier, 40 personnes ont été tuées dans un camp de déplacés d'Haradh. Bushra Aldukhainah, coordinatrice humanitaire pour CARE Yémen, a dû quitter son domicile pour mettre sa famille en sécurité. Si sa vie n'est plus en danger, elle s'inquiète pour ceux qui sont restés à Haradh. Témoignage.
Jamais je n'aurais pensé connaître un jour la situation d'une personne déplacée, et pourtant, c'est aujourd'hui le cas, car j'en suis devenu une.
En travaillant pour CARE au Yémen, je suis habituellement celle qui aide les déplacés. Mais depuis bientôt deux semaines, lorsque les frappes aériennes ont commencé, ma famille et moi connaissons la peur et la douleur de devoir subitement rassembler ses affaires et fuir précipitamment de chez soi pour rester en vie.
J'ai entendu les avions au loin
Il était 5 heures du matin lorsque mon mari et moi avons été réveillés par un appel nous annonçant que des frappes aériennes se rapprochaient de notre maison à Haradh et que nous devions évacuer immédiatement. J'ai réveillé mon fils de 9 ans en faisant mon possible pour qu'il ne voie pas la peur dans mes yeux.
Nous avons entendu les avions au loin et pendant que nous chargions rapidement la voiture, je ne pouvais cesser de penser à toutes ces personnes qui ne pourraient s'en aller qu'à pied. Comment s'échapperaient-elles ? Pourraient-elles s'échapper ?
En quittant Haradh, mon mari et moi avons essayé de rester calmes et de tranquilliser notre fils. Nous avons prié tout au long de la route pour arriver sains et saufs à destination. Même si je sais désormais ce que cela fait d'être une personne déplacée, nous sommes bien mieux lotis que la plupart d'entre elles : nous sommes à l'abri, dans la famille de mon mari à Hajjah, où nous avons tout ce dont nous avons besoin, loin de la violence et de la faim. Et, surtout, nous sommes ensemble.
40 personnes ont été tuées
Nombreux sont ceux qui n'ont pas autant de chance. La veille de notre évacuation, un camp de déplacés d'Haradh a été attaqué : 40 personnes ont été tuées, dont plusieurs enfants, et des centaines ont été blessées.
CARE ne travaille pas dans ce camp, mais je le connais très bien. Lorsque j'ai appris la nouvelle et vu les images des enfants morts, je me suis mise à pleurer hystériquement, incapable de croire que tant d'innocents aient pu être tués sans raison.
Je ne peux pas sortir de ma tête les images de ces enfants morts et j'ai peur pour l'avenir de mon pays. Le Yémen est déjà le pays le plus pauvre du Moyen-Orient. Avec ce conflit, les habitants font face à des pénuries de carburant, à des coupures d'électricité et à une augmentation des prix.
Les populations ont désespérément besoin de nourriture, d'eau et de médicaments, mais ne peuvent y avoir accès car toutes les voies sont bloquées, en particulier dans le Sud près d'Aden.
Nous sommes reconnaissants d'être sains et saufs à Hajjah. Mais tous les jours nous entendons les avions passer au-dessus de nos têtes et nous nous demandons si la violence risque aussi de s'abattre ici. Lorsqu'il entend leur rugissement dans le ciel, mon fils court se cacher tout en essayant d'apercevoir ce que font les avions. Nous vivons dans la crainte qu'une bombe nous tombe dessus à tout moment.
À Aden, les combats sont intenses
Pour tenter d'apaiser les peurs de notre fils, nous essayons de retrouver une certaine normalité dans notre vie car cela est possible à Hajjah, contrairement aux personnes vivant dans le Sud.
Bien que les ressources soient faibles, nous pouvons toujours y accéder. Nous constituons des stocks de nourriture car nous ignorons ce que nous réserve l'avenir. Je peux encore travailler pour CARE car la partie Nord du pays est en dehors de la zone de conflit. J'ai pu inscrire mon fils à l'école afin qu'il continue d'étudier et de jouer avec d'autres enfants.
Mais alors que je suis en sécurité auprès de ma famille à Hajjah, je m'inquiète pour les personnes que j'ai laissées à Haradh et pour celles qui se trouvent à Aden, où les combats sont intenses.
Tous les jours, j'entends que le nombre de victimes augmente - il s'élève désormais à plusieurs milliers, et je me pose la question : quand cela prendra-t-il fin pour que nous puissions enfin accéder aux personnes dans le besoin ? Ces besoins augmentent si rapidement et il y a tant d'inconnues.
C'est comme si nous vivions un cauchemar, en espérant qu'il prenne fin le plus vite possible et que les parties au conflit déposent les armes pour que nous puissions vivre en paix.